Industrialisation massive et paresse intellectuelle : le cas Disney !

On l’a affirmé quelques mois en arrière ici chez Metz Today : par leur côté intemporel et générationnel, toute personne de près ou de loin a été marquée par un Disney, ces derniers faisant pleinement partie de la famille. Parce qu’ils ne vieillissent pas comme les films tournés en images live, les dessins animés conservent leur charme plusieurs décennies après leur sortie, avec un gros bagage nostalgique en prime. Mais pas seulement, car la nouvelle génération (et même les plus vieux) peut également découvrir des classiques tels que La Princesse et la Grenouille, le dernier grand dessin animé en 2D du studio, ou se laisser charmer par leurs dernières productions 3D (hors Pixar), à l’image de Raiponce, La Reine des Neiges, ou encore de Vaïana.

 

Derrière la magie, le fric : triste constat !

Mais au fur et à mesure des années, Disney semble perdre de son aura, de sa magie. De vecteur de rêves, l’entreprise aux oreilles de souris est passée à un entrepreneur des plus voraces. À un impitoyable capitaliste davantage intéressé par la course aux billets verts que par les étoiles dans les yeux de son public, notamment par les rachats successifs de Lucafilms, Marvel, et maintenant la 20th Century Fox. Certes, cela a de quoi effrayer les plus passionnés d’entre nous, de peur que les icônes les plus importantes de l’Histoire du Cinéma s’en trouvent dénaturalisées. Si Marvel s’en tire plutôt bien au niveau des critiques, bien qu’on lui reproche un formatage de plus en plus visible de film en film, il en fut tout autrement de la nouvelle trilogie Star Wars qui a essuyé les plâtres, certains plus costauds que d’autres : opportunisme mercantile, aseptisation de l’œuvre originale pour élargir le nombre de spectateurs, aucune idée nouvelle… Le problème actuel est donc la peur de voir ce problème se répéter sur d’autres sagas dites cultes appartenant à la 20th (Predator, Die Hard…). En soi, la mise en avant d’une industrialisation massive au détriment d’une véritable expression artistique, une conception et un schéma de banalisation plutôt que toute prise de risque !

 

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Disney a racheté les sociétés Lucafilms, Marvel et récemment la 20th Century Fox.

Le point de non-retour (et qui a incité à la rédaction de cet article) : les remakes live de Disney de ses propres œuvres ! 4 exemples (rien que ça !) sont sortis en 2019 : trois au cinéma avec Dumbo, Aladdin, et Le Roi Lion, et un directement sur les services de streaming Disney + (La Belle et le Clochard). Bien sûr, tout cela n’est pas nouveau : le phénomène a connu des débuts très lucratifs en 2010 avec l’adaptation burtonienne d’Alice aux Pays des Merveilles. Fort de ce succès considérable, s’en sont suivis Cendrillon (2015), Le Livre de la Jungle (2016), et La Belle et la Bête (2017) : tous des hits au box-office ! Et la machine a connu, surtout en cette année 2019, une incroyable apogée. Sous couvert de tout miser sur l’aspect nostalgie et de proposer aux spectateurs de retomber en enfance en redécouvrant ces classiques sous un œil nouveau, la firme aux grandes oreilles ne cache même pas sa paresse et sa volonté de conquête avec cette nouvelle poule aux œufs d’or. Et ça marche plutôt bien ! Très bien même : car 2019 fut l’année de tous les records pour Disney, avec pas moins de 7 films ayant dépassé le milliard de recettes à travers le monde, dont Star Wars 9, Aladdin et Le Roi Lion. Mesure hautement symbolique autrefois réservée à une poignée de films, cela est devenu honteusement banal aujourd’hui. Mais devons-nous mettre tous ces films dans le même panier ?

 

Ne pas se tromper de combat : le problème de la culture geek

Tout simplement non : le problème serait bien trop simple à résoudre ! Car de certains films cités ci-dessus, aussi moyens soient-ils, voire médiocres pour certains, ces derniers réussissent à dégager quelques qualités les empêchant ainsi d’être catalogués comme étant des mauvais films. Reprenons l’exemple de Star Wars, où l’évocation de ce simple nom, autrefois synonyme de saga culte et de conversations passionnées, ne cesse de remuer les foules et les débats les plus virulents sur les réseaux sociaux. Produits à la va-vite sans une ligne directrice claire par la présidente de LucasFilms, Kathleen Kennedy, les films sont considérés comme, au mieux, des aventures SF forts sympathiques, au pire, un véritable gâchis artistique aux scenarii paresseux. Mais en soi, aucunement des Star Wars selon la « geekosphère » !

 

Cette dernière n’est-elle pas justement trop sévère ? Il suffit de voir la violence dont celle-ci a fait preuve lors du tacle de Martin Scorsese envoyé aux films Marvel (que l’on peut d’ailleurs étendre aux dernières productions Disney), ressemblant davantage à des attractions luxueuses qu’à du cinéma. D’accord ou pas avec les propos du cinéaste, notons tout de même que le débat aura été agité, réveillant d’un côté les défenseurs d’un cinéma exigeant, de l’autre une armée de fans prêts à tout pour défendre leur cinéma popcorn. En est ressorti un Scorsese impérial, clouant le bec à ses détracteurs dans un papier virtuose face à des adversaires qui n’avaient finalement pas grand-chose à défendre. Car c’est justement ça le problème : la virulence de la culture geek. Le problème d’une série ou d’une saga populaire, c’est qu’elles deviennent de tels phénomènes pop-culturels que les fans se les approprient à part entière, spéculent et théorisent sur les évènements à venir, et les intériorisent tellement qu’ils n’en ressortent que plus déçus face aux révélations qui ne correspondent pas à leurs attentes. Avant de juger la légitimité de la conclusion, ils la contestent, et la décrivent comme décevante. N’oublions pas qu’une œuvre appartient avant tout à ses créateurs, et non au public.

 

Par conséquent, et à peine sorti en salle, le dernier Star Wars apparaissait tout de suite comme une cible idéale, tant il semble cumuler tout ce que Scorsese reprochait au MCU. Sauf qu’ici, les fans n’avaient aucunement envie de défendre le film. Pourtant, Rise of the Skywalker n’a rien de honteux ! À l’image de cette nouvelle trilogie, trois blockbusters standardisés avec ce qu’il faut d’action, d’humour et de rythme, de révélations et de surprises pour tenir en haleine (à l’instar de la trilogie originale !), une certaine créativité est mise à l’œuvre tant par la mise en images que les intrigues poursuivant de fort belle manière l’héritage initié par George Lucas. De manière classique, certes, mais toujours prenante par la présentation de ces nouveaux personnages et des nouveaux enjeux. Il en est de même pour certaines adaptations live de Disney. S’ils ne sont en rien révolutionnaires, certains longs métrages se démarquent de l’animé original pour défendre leur propre identité filmique, en parsemant quelques idées nouvelles bienvenues : Le Livre de la Jungle et son scénario plus étoffé ; Dumbo et son second degré attaquant l’entreprise Disney elle-même ; Aladdin et sa réadaptation de certaines chansons et visuels.

 

Certains films sortent donc du lot. Toutefois, on ne pourra pas en dire autant de tous ces remakes live. Notamment de La Belle et la Bête, adaptation de 2017 avec Emma Watson, qui brillait par son inconsistance et des comédiens à côté de la plaque. Mais ce n’était rien face à la déferlante Le Roi Lion de 2019. Il est désormais temps de parler d’un point qui fâche véritablement !

 

Créativité inexistante : le cas du Roi Lion 2019

Il était évident que le film exploserait tous les records. Après une exploitation en salles de près de 20 semaines, le film a récolté environ 1,60 milliards de dollars dans le monde, dont plus de 10 millions d’entrées en France, soit le plus gros succès de l’année sur notre territoire. Et le plus grand succès des studios Disney, dépassant ainsi le précédent record détenu par La Reine des Neiges. Succès mérité ? Pour nous, assurément non !

 

Car Le Roi Lion 2019 symbolise à lui tout seul le titre de cet article. Quels sont les deux arguments qui ont été utilisés à tort et à travers par le public pour vanter les qualités du long métrage ? La prouesse visuelle et les effets spéciaux d’une qualité à couper le souffle, et le fait de retomber en enfance, en redécouvrant grâce à l’apport des nouvelles technologies ce classique du studio en version liftée. Cependant, et paradoxalement, ces deux « qualités » constitueront les défauts du film, et même les symptômes de ce qui ne fonctionne pas du tout.

 

Certes, le film est magnifique ! Incrustation d’éléments 3D dans de véritables décors, les animaux font plus vrais que nature, que ce soit dans la texture de leurs fourrures, leurs mimiques, et la fluidité de leurs mouvements. Mais là est le problème : en voulant adopter cette posture de photosynthèse conférant un réalisme des plus stricts, rien d’émotionnellement parlant ne se dégage du film, des personnages, des dialogues. Tout paraît fade, lisse, trop propre : la magie n’opère aucunement. Et ce même lorsque le film ne fait preuve d’aucune créativité artistique, en se contentant strictement (et bêtement) de reproduire à l’identique l’ensemble du métrage animé. Tout y est : l’ouverture et le sacre de Simba, la mort de Mufasa, le final contre Scar entouré de flammes… Mais rien n’y fait : ça ne fonctionne pas, car la nouveauté n’y est pas, et le rendu ne procure aucune émotion ! Pire encore, le film se tire ouvertement une balle dans le pied !

 

Car on ne peut à la fois vouloir à tout prix un rendu réaliste proche du documentaire… tout en y faisant cohabiter des éléments propres au cartoon et au monde de l’animation ! Comme faire parler les animaux ! Leur faisant adopter des comportements défiant toute logique animale. Ou concocter une histoire où les prédateurs et leurs proies vivent ensemble harmonieusement. Et tout en chansons s’il vous plaît ! Ces dernières, bien entendu, ne seront que l’uppercut final achevant irrémédiablement le spectateur. « Je voudrais déjà être roi » n’est qu’une balade classique et fade au beau milieu d’une plaine vide. « Soyez Prêtes », la meilleure chanson du dessin animé, symbolisant la folie tyrannique et dictatoriale de Scar, n’est qu’une juxtaposition de vers récités sans verve ! Quant à « L’amour brille sous les étoiles » chantée en plein jour… Sans commentaire ! Et tout cela pourquoi ? Faire revivre la nostalgie de notre enfance en réadaptant au goût du jour ce classique ? Et pourquoi ne pas se replonger dans le dessin animé tout simplement, qui n’a pas pris une ride, et conserve toute son aura et sa puissance émotionnelle ? Et surtout, son intemporalité !

 

À travers ces différents exemples, il serait malhonnête d’affirmer que le cinéma soit devenu ces derniers temps une industrie. Il est avant tout un art, mais a, par essence, toujours été une économie complexe. Pour faire des films, il faut faire des entrées, et un flop est toujours un risque de voir l’édifice s’écrouler. Sans succès, les studios pourraient mettre la clé sous la porte ! Et sans se cacher, Disney s’est toujours tourné vers la production de films dit « grand public », avec la revendication de cette stratégie dit du risque minimum, justifiant ainsi sa position dominante sur le marché mondial du 7e art. Nous avons vu que certains films sortent du lot, par leurs innovations et qualités indéniables, mais que d’autres sont la conséquence même d’une certaine forme de passivité du studio, et donc du public, qui adhère pleinement à cette forme d’art. Force est d’admettre que le combat de Scorsese est probablement perdu d’avance, tant les dernières sorties Disney continuent de repousser les limites du box-office. À qui donc rejeter la faute ? Jamais la question n’a été aussi actuelle !

 

Par Kévin Beluche