Le « Scarface » de Brian De Palma fête ses 35 ans

À l’occasion des 35 ans du long métrage, sorti en décembre 1983 aux Etats-Unis, Metz Today revient sur un des plus grands et iconiques films du maître du suspense, Brian De Palma.

 

Cela fait donc 35 ans que Scarface est ancré dans l’imaginaire collectif. Son personnage principal, son adage, « The World is Yours », (d’ailleurs souvent mal interprété), et sa réalisation en font une œuvre à part dans l’Histoire du cinéma. Tout ne fut pourtant pas rose lors de sa sortie : le film fut très mal accueilli par la critique, qui n’y voyait qu’un long-métrage vulgaire, ultra violent et à la morale douteuse, reprochant par exemple une stigmatisation des réfugiés cubains. Ce n’est que des années plus tard que le film gagne ses galons de film culte, et demeure, encore aujourd’hui, une proposition somme toute nouvelle au cinéma de gangster. Par où commencer ?

 

L’antihéros parfait…

 

À l’origine, il y a ce script solide, brut, sans concessions, remake du film de 1933 d’Howard Hawks, pour lequel certaines répliques sont reprises au mot près. Script d’Oliver Stone, plus connu de nos jours en tant que réalisateur engagé et polémiste (du moins autrefois) que scénariste. Se servant de cette histoire pour vaincre ses démons, notamment une addiction à la cocaïne, il nous replonge dans un fait historique de la Floride datant de 1980, « l’Exode de Mariel », où le régime cubain de Fidel Castro exilait ceux qui n’adhéraient pas à la politique communiste. Des contre-révolutionnaires en somme. Nous est présenté l’un d’eux au cours d’un interrogatoire plutôt tendu avec des policiers : Tony Montana, surnommé Scarface à cause de sa balafre sur la joue. De cette scène d’exposition auparavant entrecoupée d’extraits télévisés nous montrant les exilés arrivant par cargos remplis en Amérique, le spectateur identifie d’entrée de jeu le personnage. Voyou ambitieux ne cherchant aucunement à se repentir, mais à creuser son nid dans une terre dite promise, où tout est possible. D’un petit boulot qu’il juge minable, Montana va peu à peu gravir les échelons de la haute criminalité dans le trafic de drogue, construire son réseau, et bâtir un empire à son image. Le rêve américain en somme. The World is Yours.

 

C’est à Al Pacino que revient la lourde tâche de donner corps à ce personnage. Et quelle interprétation ! Car il était difficile de ne pas tomber dans le ridicule ou le cabotinage pour incarner la toute-puissance du criminel. Bien loin de l’image sobre et classieuse de Vito Corleone dans Le Parrain de Coppola (LE film de mafieux par excellence), il parvient à offrir une nouvelle palette de jeu dans une interprétation en totale transcendance. C’est bien simple : Pacino est Montana ! Tour à tour charmeur et agressif, professionnel et maniant les « fuck » comme personne (226 fois au long des 170 minutes du film), il deviendra nettement plus imprévisible, paranoïaque et dangereux lors de son déclin, la seconde partie du film. Sentant la situation déraper, ses partenaires de crime se retournant contre lui, c’est un Pacino lessivé qu’on retrouve, névrosé, le visage marqué par ses excès de cocaïne. De vainqueur, il deviendra vaincu. Mais pour autant, il devient encore plus impitoyable et dingue, n’hésitant pas à sacrifier ses hommes, à faire la guerre, dans un final des plus assourdissants, où les balles des mitraillettes fusent autant que les insultes dans des décors clinquants, hallucinants de mauvais goût et de mégalomanie. Ces décors, et plus largement cette scène finale sont parfaitement représentatifs de la direction artistique de Scarface.

 

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© Universal Pictures

 

…au service d’une œuvre acerbe et démesurée

 

Après le refus de nombreux réalisateurs, c’est finalement Brian De Palma qui se colle à la réalisation du film, après avoir flashé sur le scénario d’Oliver Stone, et surtout après un accord commun : négliger le réalisme. Par l’excentricité et la folie de son personnage principal, De Palma se réapproprie les codes du film de gangsters, et les ressert dans une atmosphère où la grandiloquence ne connaît pas (ou peu) de limites. À ce titre, pour illustrer cette ascension dans les plus hautes sphères de l’Amérique, De Palma reste fidèle à son style. Toujours le digne héritier d’Hitchcock (il suffit de voir les nombreuses plages de suspense que propose le film), il propose des personnages hauts en couleurs dans des scènes fortes où l’impact émotionnel l’emporte sur le souci de réalisme. En y exploitant les thématiques chères à son cinéma (le voyeurisme, l’impuissance, et même l’inceste !), on y trouve pêle-mêle de la torture à la tronçonneuse, des meurtres en pagaille, des trahisons et coups bas en tout genre, et surtout un aspect volontairement bling-bling lié à la mégalomanie de Montana. Logique en quelque sorte, lui et sa famille ayant connu la pauvreté et les affres du communisme.

 

Si tout cela peut paraître parfois cheap de nos jours (la bande originale très eighties, les chemises hawaïennes ouvertes jusqu’au 4e bouton, les bagues et bijoux bien apparents…), l’outrance clairement affichée entraîne une critique sous-jacente de la société de consommation, et plus globalement du capitalisme moderne. Un empire bâti sur des montagnes de dollars, comme en témoigne la scène pivot du film montrant la circulation de l’argent – sous l’air de Push It To The Limit de Paul Engemann – qui pourtant connaîtra une immuable destruction par l’ambition sans garde-fou de son créateur. Ou le vieil adage du serpent qui se mord la queue.

 

À travers sa critique acerbe du capitalisme, le film apparaît alors toujours diablement d’actualité. Non content de proposer un véritable anti-héros de cinéma, Brian De Palma se permet de bouleverser l’univers des gangsters avec Scarface, film de tous les superlatifs, en en faisant une fresque ambitieuse, démesurée, et traversant sans mal l’épreuve du temps. Culte !

 

Par Kévin Beluche

 

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