Les meilleurs plans-séquences du cinéma

Prouesse technique en dépit de la narration ? Simple exercice de style ou véritable expression artistique ? Plus que jamais, le plan-séquence alimente les débats au fur et à mesure de son développement conséquent au sein du 7e art, car faisant pleinement partie de l’identité filmique de plus en plus de réalisateurs, Scorsese, Cuarón et Iñáritu en tête, pour ne citer qu’eux ! Souvent confondu avec le plan long, qui est seulement une scène complète dans un cadrage fixe, le plan-séquence est un pari technique nettement plus élaboré. En effet, il consiste en une prise de vues unique se déroulant en plusieurs endroits d’un même lieu ou successivement en plusieurs lieux reliés l’un à l’autre. Par conséquent, le plan-séquence comprend donc de nombreux mouvements de caméra, panoramiques et divers travellings, d’où la difficulté pour les techniciens de le mettre en place. Et en soi, certains plus que d’autres ont marqué l’Histoire du Cinéma.

 

À l’occasion de la sortie du formidable 1917 de Sam Mendes, reconstitution minutieuse d’une mission pendant la Première Guerre mondiale, réalisé par le biais de scènes entières sans aucune coupe, revenons sur quelques plans-séquences emblématiques ayant marqué la rétine des spectateurs au fil des âges.

 

Ceux qui ont ouvert le bal : « La Corde » (1948) et « La Soif du Mal » (1958)

Impossible de ne pas commencer cette petite rétrospective sans évoquer le maître du suspense, Alfred Hitchcock, et son film par lequel la question du plan-séquence a commencé par prendre de l’ampleur (si on met L’Aurore de côté). Il s’agit de La Corde, réalisé en 1948, huis clôt adapté d’une pièce de théâtre, filmé dans un appartement de type bourgeois. Pour donner l’illusion d’un unique plan-séquence de 81 minutes, le réalisateur a utilisé la technique du « ten minutes take », dix minutes étant la durée d’une bobine. Le film est donc un ensemble de 11 plans-séquences, les raccords entre ces derniers étant relativement discrets pour permettre l’illusion de l’absence de coupe pour les spectateurs. Et cela fonctionne : bien qu’aujourd’hui, on remarque aisément les coupes, le film, alimenté par sa proximité avec le genre théâtral, est un véritable tour de force, rendant ainsi une immersion quasi parfaite.

 

10 ans plus tard, c’est au tour d’un autre réalisateur, tout aussi important par la puissance de ses œuvres, d’expérimenter cette technique. Il s’agit d’Orson Welles qui, avec La Soif du Mal, signa un des plus grands films d’espionnage de son temps, possédant d’ailleurs encore aujourd’hui un doux parfum de film culte. En témoigne le fameux plan-séquence du début de film d’une durée de 3,20 min, nous présentant la ville de Los Robles à la frontière des Etats-Unis et du Mexique, ainsi que les méfaits s’y opérant, symbolisés par l’explosion finale d’une voiture. Cette dernière reflète à merveille la volonté de Welles par son utilisation du plan-séquence : montrer le temps qui passe. Par des mouvements de caméra savamment orchestrés à l’aide d’une grue (rarement utilisée à l’époque dû aux coûts élevés), le spectateur attend avec tension ce moment qui paraît inévitable !

 

Ceux au plus près de la réalité : « L’Arche Russe » (2002) et « Victoria » (2015)

Nous entendons par là des plans qui sont véritablement réalisés sans aucune coupe, c’est-à-dire que le film, dans son intégralité, est un seul et même plan. Quitte à faire croire au spectateur qu’il se déroule en temps réel devant ses yeux (n’oublions pas que la caractéristique principale du plan-séquence est sa capacité à montrer le temps qui passe, d’où l’immersion du spectateur). Cela peut sembler quasi impossible, mais certains cinéastes, entourés d’une équipe de techniciens acharnés et hors pair, ont relevé avec brio ce défi technique.

 

C’est le cas d’Alexandre Soukourov avec L’Arche Russe, contant l’histoire d’un réalisateur contemporain se retrouvant comme par magie dans le musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg au début du XVIIIe siècle, et voyageant dans le temps jusqu’à nos jours pour y découvrir le turbulent passé de la Russie. Davantage un prétexte d’étaler le savoir-faire des équipes techniques qu’un film véritablement construit autour d‘une intrigue, L’Arche Russe impressionne néanmoins par sa virtuosité, à déployer des milliers de figurants, à travers ses innombrables décors et à la course folle de la caméra. Plus encore, un film qui se vit et se ressent émotionnellement parlant.

 

L’autre exemple retenu est Victoria, film allemand de Sebastian Schipper, qui a nettement plus marqué les esprits. On y suit Victoria, de sa sortie de boîte de nuit, rencontrant une bande de garçons avec qui elle se lie rapidement, pour ensuite vivre avec eux une folle course poursuite à travers les rues de la ville suite à un braquage raté. En somme : on ne la lâche pas de 5h48 à… 8h du matin. Un véritable tour de force, tant par la maestria de la logistique (isoler des quartiers entiers n’est pas simple en soit) que la force émotionnelle et le talent des comédiens, devant se concentrer comme jamais pour leurs textes (ne s’interdisant toutefois pas quelques improvisations). Le spectacle est total, le spectateur, lui, complètement embarqué, et épuisé à la fin de ces 2h15 intenses ! Plus immersif, tu meurs ! À savoir que 3 prises ont été réalisées au total, la troisième étant celle choisie par le réalisateur.

 

Ceux au cœur même de l’action : « Creed » (2016), « Les Fils de l’Homme » (2006) et « The Revenant » (2016)

Le sous-titre parle pour lui : nous parlerons ici des séquences d’actions entières tournées en une seule prise ! Autant dire les scènes les plus galvanisantes et excitantes pour n’importe quel film de genre ou blockbuster à grand spectacle !

 

Commençons par Creed – L’Héritage de Rocky Balboa. Prolongation on ne peut plus honorable de la mythologie autour de l’Etalon Italien, le film suit le parcours du fils d’Apollo Creed, prêt à tout pour se faire un nom dans le milieu de la boxe. Une des séquences clés est sans contexte un combat tourné en plan-séquence en milieu de long-métrage. La complexité qui réside dans cette scène, et donc tout le plaisir qu’on en retire durant le visionnage, est bien évidemment la circularité des mouvements de caméra, ne lâchant aucunement les deux boxeurs (les suivant même dans les coins pendant la pause), les cris des deux entraîneurs hors champ, et la chorégraphie du combat lui-même, millimétré, précis, et où chaque coup semble réellement porté ! On en ressort impressionné, sonné, et convaincu qu’on a zappé un instant durant sur un véritable combat !

 

Poursuivons avec deux réalisateurs mexicains dont le plan-séquence fait clairement partie de leur méthode de travail : Alfonso Cuarón et Alejandro Gonzáles Iñáritu. Bien sûr, nous pouvons citer du premier son incroyable travail dans Gravity, plans-séquences entièrement réalisés en studio à l’aide d’effets spéciaux à la pointe de la technologie (et où la 3D rend pleinement grâce à l’immersion souhaitée). Mais nous nous attarderons davantage sur son chef d’œuvre de la science-fiction sorti en 2006, Les Fils de l’Homme, avec Clive Owen et Julianne Moore. Si la majorité des scènes clés sont en plan-séquence, la plus impressionnante de toutes reste le guet-apens provoqué en pleine forêt à l’aide d’une voiture en flammes ! Pourquoi ? Car au-delà du caractère viscéral, elle est tout simplement inattendue ! D’une conversation mêlée de rires et d’instants de légèreté à l’intérieur d’une voiture au milieu des protagonistes, où la caméra passe d’un visage à un autre sans difficulté apparente, nous passons d’emblée à un climat de tension provoquée par la survenue d’une voiture en flammes bloquant la route, et l’attaque de révolutionnaires mettant en mal la voiture. Le point d’orgue reste la blessure de Julianne Moore, touchée mortellement à la gorge par le tir d’un des attaquants.

 

Iñáritu retranscrit très bien également ce côté viscéral et cru dans ses films. Son modèle du genre reste The Revenant, rôle pour lequel Leonardo DiCaprio a enfin reçu l’oscar tant convoité. De même, l’oscar de la meilleure photographie lui fut aussi attribué. Amplement mérité au vue des images magnifiques traversant le long métrage, rendant ainsi grâce à la fois à la beauté et la cruauté de mère nature, sublimée aussi par des plans-séquences dantesques. L’introduction par exemple, une attaque de près de 8 minutes d’un camp américain par des indiens, incroyable défi technique mobilisant mouvements de grues, foule de figurants et effets spéciaux. Mais c’est surtout l’attaque de l’ours qui reste dans les mémoires. Tout en CGI, la férocité d’un animal n’a jamais été aussi puissante à l’écran : une attaque longue, d’une violence inouïe, d’une lenteur désespérée à l’image du calvaire subi par le héros ! La scène aurait-elle été aussi forte sans l’utilisation du plan-séquence ? Pas sûr : l’aspect « attaque en temps réel » aurait été considérablement amoindrie !

 

Les Mentions Honorables

Bien sûr, la difficulté d’un tel article a été de se limiter à certains films et réalisateurs. C’est occulter bon nombre de plans-séquences tout à fait honorables qui ont eux aussi marqué à leur manière les spectateurs. Voici un petit concentré :

Les Affranchis de Martin Scorsese (1990) : où quand la caméra suit le personnage de Ray Liotta dans les grandes soirées mafieuses.

 

À toute Epreuve de John Woo (1992) : une fusillade en plein cœur d’un hôpital, mobilisant tout le savoir-faire des actionners asiatiques.

 

Snake Eyes de Brian de Palma (1998) : un plan-séquence d’ouverture de 18 min montrant le quotidien du personnage principal, incarné par Nicolas Cage.

 

Old Boy de Park Chan Wook (2003) : une longue séquence tout en travelling horizontal de bagarre au marteau.

 

Tintin et le Secret de la Licorne de Steven Spielberg (2011) : une course poursuite pour récupérer le papyrus, mélangeant cascade d’eau, tank et moto.

 

Par Kévin Beluche