Jackie Chan : la force des poings, le pouvoir du rire

À l’occasion du soixante-sixième anniversaire de Jackie Chan, Metz Today a décidé de revenir de manière succincte sur la carrière de l’acteur et ses moments les plus marquants. Un artiste martial complet ayant à sa manière imposé une nouvelle vision du cinéma d’action.

 

L’enfance

7 avril 1954 : un véritable boulet de canon voit le jour. Sans mauvais jeu de mot bien sûr : car du haut de ses 55 cm et surtout de son poids de 5,4 kg, le petit Chan Kong-Sang est surnommé Pao-pao, traduit littéralement par… boulet de canon. Né de parents travaillant en tant que cuisiniers à l’ambassade française d’Hong Kong, et n’étant pas spécialement assidu à l’école, il souhaite très tôt s’orienter vers une carrière artistique. S’ensuivent, dès ses 7 ans, 10 années rigoureuses à la China Drama Academy, une académie d’étude du théâtre chinois dirigée d’une main de fer par Yu Jim-yuen. Aussi dure soit-elle, autant moralement que physiquement, c’est durant cette période que le jeune artiste en herbe excelle en acrobaties et arts martiaux, et aura la condition physique qui le caractérisera des années durant, lui permettant d’exécuter les plus incroyables des cascades. Comme il le dit lui-même : « Sans ces années, point de Jackie Chan ! »

 

D’ailleurs, savez-vous d’où lui vient ce petit sobriquet ? Tout simplement durant un séjour en Australie, où il décida de rejoindre ses parents après quelques rôles mineurs au cinéma. Travaillant à l’époque dans le bâtiment pour vivre, un camarade contremaitre prénommé Jack le prit son aile, et le surnomme rapidement Little Jack. Il n’en fallut pas plus pour que Jackie Chan voie le jour.

 

Des débuts peu glorieux

Les quelques rôles évoqués précédemment résidaient surtout en tant que doublure cascade dans quelques films de l’époque, mais aussi en faire valoir de Bruce Lee dans les films La Fureur de Vaincre et Opération Dragon. À la mort du prodige martial, véritable coup de massue au sein du cinéma asiatique, les producteurs les plus ambitieux s’empressaient de trouver un remplaçant, un successeur, afin de surfer sur cette vague nouvelle du cinéma d’arts martiaux que le petit dragon avait apportée à l’écran. Jackie Chan fait malheureusement parti de ceux-là. S’ensuit donc La Nouvelle Fureur de Vaincre, remake mal caché et fausse suite du film de 1974, réalisé par Lo Wei, mauvais cinéaste mais impitoyable businessman, qui voulait faire de Jackie Chan SA star. On ne peut en vouloir à ce dernier : avoir le premier rôle dans une production d’envergure, ce fut l’opportunité idéale pour lui de se faire connaitre. Malheureusement, le film est de qualité médiocre, bien que les combats soient corrects dans l’ensemble, Chan officiant pleinement à la chorégraphie.

 

Les années qui suivirent furent malheureusement du même acabit : un contrat liant Jackie Chan à Lo Wei l’obligea ainsi à tourner un peu moins d’une dizaine de films de 1976 à 1978, tous de qualité plutôt moyenne, malgré quelques films sortant du lot, soit par des combats dont la chorégraphie allait à l’encontre des standards asiatiques de l’époque (Le Poing de la Vengeance, Le Magnifique…) soit par l’incursion d’humour et d’instants comiques (L’Irrésistible, Le Protecteur…). En soit, les prémices de ce qu’on appellera la Kung-Fu Comedy, genre nouveau qui propulsera Jackie Chan au rang de superstar dans les contrées asiatiques.
 

 
La Kung-Fu Comedy

1978 fut une année décisive : celle de la rencontre entre Jackie Chan et NG Yuen, directeur d’un studio indépendant, et producteur cherchant à maximiser le potentiel jusque-là inexploité du jeune artiste. Pour la première fois, on lui demande son avis, ses idées pour la mise en scène. Il est pleinement acteur et non plus un simple faire-valoir, un pantin que l’on modèle à sa guise. Très rapidement une relation de confiance s’installe entre les deux hommes. Cela se ressentira sur les deux films qu’ils tourneront ensemble, et constitueront à l’époque les plus grand succès de Chan : Le Chinois se Déchaine, et Le Maître Chinois, tous deux réalisés par un jeune Yuen Woo Ping, le futur chorégraphe des combats de la trilogie Matrix et Tigre et Dragons. Ces deux films se démarquent par leur côté burlesque (le genre ayant toujours été traité avec grand sérieux), les préceptes d’arts martiaux étant tournés en dérision, tout en ironisant sur les valeurs morales sans pour autant faire preuve d’irrespect. Les chorégraphies, véritables ballets artistiques, sont très bien travaillées et provoquent immédiatement l’adhésion des spectateurs. Jackie Chan est enfin adopté par le public.
 

 

Et le succès montera d’un cran l’année suivante, avec sa première réalisation : La Hyène Intrépide. L’originalité du film tient dans la présentation d’une technique de kung-fu très particulière basée sur les émotions. Jackie se bat ainsi en pleurant ou riant, véritable prétexte à un festival de pitreries et de gags en tout genre. Et bien sûr des combats d’une beauté à tomber, dont la précision des mouvements n’a d’égal que la rigueur des combattants. Leitmotiv qui se confirmera ensuite avec La Danse du Lion, sa deuxième réalisation mais son premier film pour une grande maison de production, la Golden Harvest, leader sur le marché à l’époque au même titre que la Shaw Brothers. Toujours dans le registre de la comédie kung-fu, mais délaissant les thèmes récurrents du genre (la relation conflictuelle maître/élève, le désir de vengeance et l’apprentissage d’une technique secrète de combat), le film arbore un scénario original davantage tourné vers les notions de fraternité et d’entraide, ainsi que les notions d’instinct et d’impulsivité qui peuvent prendre le pas sur la réflexion et l’intellect au cours d’un combat. En témoigne le final d’une rare efficacité, avec un Jackie déchainé. Ce combat est d’ailleurs à l’image du film : une référence dans le genre. Et un nouveau succès considérable au box-office.
 

 

Tête pensante de ces derniers succès à travers un parcours sans faute, Jackie mène sa vie en véritable rock star, et se complait dans le luxe et la superficialité. Voire un certain narcissisme et égocentrisme qui se trouveront coupés net avec son premier échec : Dragon Lord. Revenu très déçu de son essai américain, tant par leurs méthodes à l’opposé de celles asiatiques que par le film en question (Le Chinois est un véritable échec tant au niveau artistique que commercial), il avait besoin d’évacuer sa frustration en se lançant dans un nouveau projet. Bien qu’il soit techniquement mieux maitrisé, il en reste moins riche scénaristiquement parlant. Sensé être une romance, Dragon Lord se perd dans des scènes de sport sans lien apparent avec le sujet, bien qu’elles soient très impressionnantes, et des scènes d’action relativement maigres malgré un combat final intéressant. Renforcé par un tournage chaotique avec un budget revu constamment à la hausse, symbole de la mégalomanie de Jackie Chan, le public ne s’y est pas trompé : le film fonctionne mais nettement moins que ses aînés. Il n’est pas pour autant honteux, et permettra à Jackie de mieux rebondir avec ce que ses fans les plus ardus considèrent comme étant ses meilleurs films.
 

 

L’âge d’or des années 80

C’est probablement durant cette période que Jackie Chan réalisa ses principaux chefs d’œuvre. Ceux bénis par toute une communauté de cinéphiles férus d’arts martiaux. Les plus diversifiés en matière de genre cinématographique (le film policier, d’époque en costumes ou encore d’aventures) et les plus complets et maîtrisés artistiquement parlant. Ceux qui seront les plus caractéristiques de la marque de fabrique Jackie Chan : de savoureux cocktails mélangeant action et humour, avec des combats chorégraphiés avec inventivité et des cascades en mettant plein la vue aux spectateurs. Le tout sans effets visuels s’il vous plaît (hormis certains câbles et autres artifices). Comme le principal intéressé le proclame lui-même : « l’effet spécial, c’est moi ! »

 

Commençons tout d’abord avec son premier chef d’œuvre, sorti en 1983 : Le Marin des Mers de Chine. Film d’époque mêlant intrigue historique où les forces britanniques sont en prise avec des pirates dans la baie de Hong-Kong et combats en tout genre, le film est très réussi dans la construction de son récit autour du trio de comédiens. En effet, la part belle n’est pas seulement réservée à Jackie mais aussi à ses deux amis d’enfance connus lors de la formation à la China Drama Academy, Sammo Hung et Yuen Biao. Plus communément appelé « les trois frères », ce trio de choc dont la complicité transpire à l’écran (également présent dans deux autres films d’action musclés des années 80, Soif de Justice et Dragons Forever) rend également honneur au combat final, synthèse parfaite et harmonieuse des forces en présence. Le film est également un coup de maître dans sa dimension splastick, dont Buster Keaton, Harold Lloyd et Charlie Chaplin furent les principaux porte-étendards. En témoignent cette mémorable course-poursuite à vélo pleine d’humour, ou encore la cascade du clocher, renvoyant directement à Monte là-dessus avec Harold Lloyd, et pour laquelle deux prises furent nécessaires !
 

 

Continuons avec ce que beaucoup considèrent comme étant son meilleur film : Police Story ou sa première incursion dans le genre policier, relatant le quotidien d’une brigade de la police de Hong Kong aux prises avec un baron de la drogue. Le film bénéficie d’une intrigue et d’une réalisation solides, alternant quiproquos hilarants et scènes d’action parmi les plus belles de sa carrière. La plus mémorable reste ce final dans un centre commercial d’une rare intensité, tant par sa violence (les protagonistes en prennent littéralement plein la tronche, même les femmes !) que par ses chorégraphies où la notion de seul contre tous prend tout son sens. C’est d’ailleurs avec ce film que cette caractéristique fait partie intégrante du style Jackie Chan, tout comme le fait d’utiliser n’importe quel objet du quotidien pour se défendre. Il suffit de voir l’aisance avec laquelle il utilise une penderie à roulettes pour désarçonner ses adversaires.
 

 

L’année suivante a failli être la dernière pour notre ami Jackie. Pour sa première incursion au sein du cinéma d’aventures dans un Indiana Jones like, Mister Dynamite, la cascade d’ouverture, d’apparence simple (sauter d’un mur pour se rattraper à une branche située à 5 m de hauteur) a bien failli lui coûter la vie. La branche s’est tout simplement cassée et la chute se termine la tête la première dans un énorme rocher. Résultat : fracture du crâne, nerf auditif endommagé, et une belle frayeur. Le film de qualité plus que moyenne est surtout célèbre pour ce fait d’arme, bien retranscrit dans son bêtisier de fin de film (autre Jackie Chan’s touch). Il vaut mieux privilégier sa suite, Opération Condor, sortie en 1990, bien plus drôle et bien plus ambitieuse dans sa direction artistique, tant par les costumes que les lieux de tournage. À noter qu’il s’agit du seul exemple de suite supérieur à l’original durant cette période, malgré les qualités indéniables du Marin des Mers de Chine 2 et Police Story 2 qui ont bénéficié eux aussi de plus de moyens.
 

 

Les années 90 et l’internationalisation

Les années 90 furent celles de l’internationalisation, celles où Jackie Chan se déchaîna pour attirer l’œil de l’Amérique. Comme dit précédemment, ce dernier avait été très déçu de son expérience américaine avec Le Chinois en 1980. Mauvaise expérience réitérée par la suite en 1985 avec Le Retour du Chinois, polar hard-boiled situé quelque part entre Un Justicier Dans La Ville et un buddy movie typique de ces années-là… mais très loin de l’identité de l’intéressé. C’est par cet échec et nouvelle frustration qu’est né Police Story. D’ailleurs, pour information, le film fut remonté par Jackie himself dans une version nettement plus en phase avec son travail (et plus réussie par la même occasion).

 

Après ces déconvenues où il n’avait aucune emprise sur ses projets, l’idée de revenir en Amérique se fait de manière plus indirecte, à savoir produire et jouer dans des films en Asie, mais montés spécialement pour plaire au public américain. Tel fut le cas de Police Story 3 : Supercop, davantage tourné vers les fusillades que les combats, mais surtout de Jackie Chan dans le Bronx en 1995, son premier grand succès en Amérique. Personnage attachant, cascades hallucinantes, action non-stop dont le point d’orgue reste ce combat dans le repère des bad guys mettant à mal tout le système de consommation américain où chaque appareil électroménager devient une arme, tout est réuni pour plaire à n’importe quel amateur de sensations fortes. On reste admiratif, lors du bêtisier, de la détermination de l’acteur-cascadeur dans la poursuite du tournage malgré sa jambe cassée, choisissant de dissimuler son plâtre dans une basket spécialement conçue pour l’occasion. Mais tout cela malheureusement au détriment d’une intrigue tenant sur un bout de ficelle, dommage collatéral du remontage intégral où d’importantes coupes furent de mises. Ce fut également le cas pour Contre-Attaque, le 4e volet de la saga Police Story, tourné cette fois vers le film d’espionnage, mais au rythme saccadé et à l’histoire tarabiscotée au possible. Heureusement que les morceaux de bravoure ne manquent pas, dont cette impressionnante empoignade à l’escabeau.
 

 

Cette période charnière pour Jackie est également l’occasion pour les distributeurs, sentant le bon filon, de sortir et redoubler ses anciens succès. Parmi eux, ils décidèrent de sortir du placard un film pas si ancien, réalisé en 1994, véritable chant du cygne de la comédie kung-fu, sorte d’adieu au genre qui l’a lancé : Drunken Master 2, ou Combats de Maîtres. Fausse suite mais vrai remake du Maître Chinois de 1978, le film est surtout le moyen pour Chan de se réapproprier l’histoire de la boxe de l’homme ivre avec le bagage qui est le sien à cette époque. Le résultat ? La quintessence d’un style et peut être la meilleure illustration d’un mythe porté au paroxysme de son expressivité cinématographique, avec un Jackie Chan impressionnant, et comme il le ne le sera jamais plus. Son meilleur film des années 90, à ranger directement au panthéon des chefs d’œuvre asiatiques, à l’instar d’un Il Etait une Fois en Chine.
 

 

L’ère hollywoodienne : une fin de carrière satisfaisante ?

Terminons enfin par la tranche de vie la plus connue de notre intéressé. Les films par lesquels la majorité du public connait le bonhomme. Sans pour autant occulter tous les long-métrages sortis à cette période, il va sans dire qu’ils sont loin de la créativité et des impressionnants contenus des films chinois. Les standards américains tout comme leurs méthodes de travail ultra encadrées plombant toute prise de risque et inventivité, les films sont, au pire, des comédies ratées utilisant des artifices visuels pour masquer la vieillesse de l’acteur (Le Smoking), au mieux (et le plus souvent) des divertissements tout à fait honorables mais loin d’être les claques annoncées. C’est le cas des Rush Hour, buddy movie par excellence, ou Jackie officie avec Chris Tucker, atout comique du duo : un premier opus assez drôle bien que pauvre en combats, un deuxième plus travaillé et donc plus réussi, un troisième bien en deçà des espérances malgré le beau rendu de la ville de Paris. Ou encore Le Tour du Monde en 80 Jours, le divertissement familial par excellence, mais qui n’a foutrement rien à voir avec l’œuvre de Jules Verne. Non, la bonne surprise est plutôt à voir du côté des Shanghai Kid avec Owen Wilson. Le dépaysement et le genre du western aidant, le film fait la part belle à une bonne humeur communicative, et un Jackie Chan nettement plus impliqué dans la préparation des combats (d’autant plus que c’était un véritable rêve de gosse pour lui d’incarner un cow-boy à l’écran).
 

 

Mais attention, les Etats Unis ne sont pas les seuls fautifs dans cette dernière partie de carrière mi-figue mi-raisin : la Chine et Hong Kong peuvent également en prendre pour leur grade. Excepté New Police Story, polar brutal à la trame shakespearienne que ne nierait pas un John Woo, où Jackie Chan joue avec force et brio le rôle le plus dramatique de sa carrière (un vieux flic désabusé et alcoolique), la plupart des films proposés par l’industrie asiatique ne sont pas pour ainsi dire des premiers choix. Que ce soit à travers Le Médaillon, comédie fantastique dans le même genre que Le Smoking où des pouvoirs fantastiques sont donnés au héros afin de gommer les artifices tels que l’usage de câbles à peine dissimulés, Espion Amateur, un film d’action assez académique et pauvre, ou encore The Myth, film d’aventures et historique passable mais contredisant totalement les dires de Jackie à l’époque dans l’utilisation d’un avatar tout en CGI, la plupart de ces films se font davantage le symptôme de paresse d’un artiste n’ayant plus rien à prouver que l’expression d’une continuité dans son art. Même Chinese Zodiac en 2012, 22 ans après Opération Condor, censé marquer son grand retour derrière la caméra dans un film entièrement tourné vers l’action, s’est révélé plutôt décevant malgré ses excellents combats à près de 60 piges, la faute à un rythme extrêmement bâtard, et un scénario nettement moins bien écrit que ses œuvres d’antan.
 

 

C’est ainsi que se définit la carrière actuelle du maître chinois : entre bonnes surprises (Le Royaume Interdit ou sa confrontation avec Jet Li, Karate Kid, The Foreigner…) et d’autres plus désagréables en bouche (1911 : Revolution, Kung Fu Nanny, Railroad Tigers…). Cela doit-il pour autant lui porter préjudice ? N’a-t-il pas bouleversé les standards en risquant sa propre vie en réalisant lui-même et sans doublures la plupart de ses dangereuses cascades, le tout pour ses spectateurs et ses fans ? N’a-t-il pas suffisamment marqué son temps et son époque en redéfinissant tout un pan du cinéma d’action ? N’est-il pas devenu lui-même une légende à part entière au même titre que Bruce Lee ? Bien évidemment que oui ! L’oscar reçu en 2016 pour l’ensemble de sa carrière, remis par Tom Hanks, filmé par son ami de grande date Sylvester Stallone, en est un symbole puissant ! Tout comme son vibrant discours, empli d’émotions, dicté par une voix tremblante tout en prononçant ses premiers mots : « It’s a dream ! » Et pour tout cela, pour tous les enfants ayant grandi en visionnant à tort et à travers ses combats les étoiles plein les yeux : merci Jackie ! Merci l’artiste !

 

Par Kévin Beluche