La Mule : le dernier mot d’Eastwood ?

Cela fait près dix ans que Clint Eastwood n’a pas eu la double casquette de réalisateur et d’acteur principal dans un long métrage. Après un Gran Torino chargé en symbolique, il signe son grand retour dans un film aux airs de thriller dramatique. Une ultime occasion pour lui de réaffirmer ses plus grandes convictions dans un monde en constant changement du point de vue politico-social ! Alors, La Mule : film eastwoodien mineur ou chef d’œuvre crépusculaire ? Sans jouer les Normands, un peu des deux mon commandant !

 

La Mule s’attarde sur Earl Stone qui a plus de 80 ans et qui est sur le point de tout perdre : son argent, son entreprise, et sa famille, délaissée à cause de son investissement à temps plein pour son travail. Il accepte alors une tâche très bien rémunérée : transporter de la cocaïne à bord de son pick-up et jouer les passeurs pour un cartel mexicain. Insoupçonnable et extrêmement doué, il va rapidement être confronté au danger, entre la traque de la police, les menaces du cartel, et la protection de sa famille.

 

D’emblée, le pitch semble nous plonger dans un drame assez sombre, partant d’une réalité économique ancrée dans la réalité (la précarité des personnes âgées) pour se poursuivre sur les voies du thriller. C’est d’ailleurs par ce biais que la bande annonce nous vendait le film, essayant de titiller notre fibre cinéphile et nostalgique en nous remettant sur le feu de l’action Papy Clint en Dirty Harry fatigué et dépassé par le temps. Ce constat sera la principale faiblesse du film. Fidèle à lui-même, Eastwood se servira du décalage de son personnage pour faire un bilan général des caractéristiques de notre époque, et son évolution. Profondément républicain et conservateur, il portera notamment à grands coups de sabots des jugements de valeur morale sur l’utilisation excessive des téléphones portables et sur l’importance de la famille avant tout. Ce qui ne l’empêchera pas pourtant de mettre en image une scène plutôt malvenue, maladroite, et osons le mot, vulgaire, où les femmes sont réduites à des objets hyper sexualisés dans le seul but de « combler » les hommes du cartel.

 

la-mule-eastwood-clint-metz-today

 

Mais ce décalage est paradoxalement une de ses plus grandes forces. En effet, Eastwood reste fidèle à lui-même, dans la manière de réaliser, et de se mettre en scène. Car s’opère, surtout dans la première partie du film l’incursion de fulgurances comiques, justement représentées par le rapport du personnage principal au politiquement correct : son franc parler en total décalage avec l’époque entraîne des scènes savoureuses, où un simple coup de main à des personnes de couleur qui ont crevé sur l’autoroute devient jubilatoire. Ainsi, si son regard n’apparaît pas très subtil de prime abord, il est avant tout révélateur d’une émotion particulière chez le spectateur : celui de revoir peut-être, pour la dernière fois sur grand écran, un homme qui n’a plus rien à prouver au monde du cinéma. Pourquoi ? Car même si le film peut paraître un brin académique dans l’ensemble, il est surtout et avant tout bien réalisé, bien rythmé, et très bien interprété ! Contrat bien rempli en somme !

 

La Mule n’est donc certainement pas un des plus mémorables de Papy Clint, loin de la claque procurée par un Million Dollar Baby ou un Gran Torino. Mais affirmer qu’on ne peut pas être touché face à cette œuvre quasi testamentaire serait un euphémisme. Car Eastwood, plus que jamais, avec l’histoire de cet homme ne comprenant plus vraiment son temps, continue de mener sa vie et son art sans se soucier du jugement de ses contemporains. Et en cela, on ne peut qu’applaudir et saluer l’audace d’un homme, d’une légende qui, à près de 90 ans, transpose son amour du cinéma avec tant de sincérité.

 

À découvrir actuellement dans les salles Le Klub à Metz Centre et Kinepolis à Saint-Julien-lès-Metz.

 

Par Kévin Beluche

 

Voir la bande-annonce :