Édito #11 – Pandémies : rien n’a changé ou presque…

Jean Delumeau, historien des religions, a publié en 1978 La Peur en Occident, un ouvrage qui décryptait les phases des grandes pandémies qui ont secoué l’humanité. Un travail qui montre combien les choses n’ont, au fond, pas beaucoup évoluées depuis le Moyen-Âge. Éclairant et consternant à la fois…

 

Face aux grandes pandémies, Jean Delumeau dissèque 9 étapes successives, une constante qui montre que les comportements des hommes fonctionnent toujours sur des ressorts comparables.

 

Le déni des autorités
 
La première réaction est de ne pas admettre la réalité ou ses évolutions probables (ce qu’on appelle aujourd’hui le principe de précaution). Ce déni de réalité est d’abord motivé par la peur de remettre en cause les systèmes économiques et sociaux en place. « Ça n’arrivera pas chez nous. Nous ne sommes pas concernés… ». Ensuite, les autorités ne veulent pas créer des effets de panique qui peuvent avoir des conséquences encore plus graves. Néanmoins, si cette posture et les discours tenus peuvent s’expliquer, ils ne doivent pas dispenser les autorités de prendre des mesures et à anticiper. On pense évidemment à la pénurie, en France, de masques, de matériels médicaux, de tests.

 

La légèreté de la population
 
De son côté, la population a aussi pour première réaction de refuser d’admettre la réalité et ces incidences sur leur quotidien. Comme une privation de libertés insupportables, surtout pour les sociétés occidentales. On l’a vu les premiers jours du confinement avec ces regroupements un peu partout et en particulier dans les grandes villes. « Allez, une dernière fête, un dernier apéro entre amis, avant le confinement ! ». Cette indiscipline citoyenne a conduit les autorités à renforcer les mesures et à sanctionner davantage.

 

La panique et l’exode
 
Même si elle n’a rien de comparable avec les épidémies de peste et de choléra du Moyen-Âge, la panique et l’exode demeurent encore, certes dans une moindre mesure. Mais on a tous vu ces images dans les supermarchés où les gens se bousculaient de peur de manquer de produits de première nécessité. Quant à l’exode, Orange, l’opérateur de téléphonie, a montré grâce à la géolocalisation des téléphones portables qu’un 1,2 millions de personnes avaient quitté l’Ile de France au début des mesures de confinement. Les autorités estiment à 17% le nombre de parisiens à avoir fui la capitale.

 

Les débuts du confinement
 
Les villes se vident de toutes leurs activités. C’est le désert et le silence. Les conditions de ce confinement ne sont pas les mêmes pour tous. Au Moyen-Âge, les plus pauvres étaient bannis et reclus dans des conditions sanitaires effrayantes. Heureusement aujourd’hui nous n’en sommes plus là, cependant les situations de certaines populations peuvent être très difficiles et préoccupantes : on pense aux SDF, aux campements de migrants, aux prisonniers, aux EHPAD, aux familles vivants dans les logements exigus… Et cela pour ne s’intéresser qu’à la France. On pourra cependant remarquer que la solidarité s’organise aussi et que de très nombreuses initiatives sont prises. Mais néanmoins, les plus fragiles ne sont pas les mieux protégés.
 

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Le Moyen Âge a connu, non pas une peste, mais plusieurs. La plus mortelle est celle de 1348, appelée Grande Peste ou Peste Noire, venue d’Extrême-Orient.

 

La distanciation sociale
 
Dans cette phase, on reste chez soi et quand on en sort, on garde ses distances, on se méfie des autres qui pourraient être éventuellement porteur du virus. Les regards ne se croisent pas, on ne se parle pas ou peu… Mais aujourd’hui, les moyens de communication modernes permettent de maintenir des liens et en définitive une certaine cohésion sociale indispensable. C’est un progrès important si on sait les utiliser à bon escient car ils peuvent devenir aussi anxiogènes, comme les réseaux sociaux et les chaînes d’infos.

 

Le rejet des malades
 
Les progrès de la médecine et de ses infrastructures permettent aujourd’hui une prise en charge des malades, leur rejet par les populations ne saurait être un trait commun avec le Moyen-Âge. Mais aujourd’hui, ce rejet s’exprime de la part d’une infime partie de la population vis-à-vis des personnels soignants. On a également vu (merci les réseaux sociaux !) ces mots anonymes collés sur les portes des logements d’infirmières ou d’infirmiers leur priant de déménager. Là encore, et dans une certaine mesure, le parallèle avec « l’obscurantisme moyenâgeux » fonctionne toujours.

 

L’abandon des rites funéraires
 
Face à l’urgence de la situation, aux manques de moyens ainsi qu’aux risques encourus à se regrouper les rites funéraires disparaissent ou sont réduits à leur plus simple expression. Dans ces conditions, difficiles pour les familles et les amis de faire le deuil de leurs proches.

 

Les héros et les autres
 
Jean Delumeau parle ici de la dissolution de « l’homme moyen », celui qui n’est ni bon, ni mauvais. En période normale, la société peut « fonctionner » avec cet « homme moyen ». Mais en période de crise profonde comme les pandémies, les comportements s’exacerbent avec d’un côté ceux qui deviennent des héros (les religieuses au Moyen-Âge, aujourd’hui les personnels soignants notamment) et de l’autre les indifférents, voire les lâches (dixit Jean Delumeau). On pourra également observer une autre constante : les vrais héros ce sont les anonymes ou les moins bien considérés…

 

La recherche des coupables
 
Trouver les causes du mal c’est recréer un cadre sécurisant, reconstituer une cohérence sociale. Un remède indispensable pour reconstruire et éviter que cela ne se reproduise. Pour Jean Delumeau, avec les épidémies de peste les explications étaient données par trois sources : les savants, la foule anonyme et l’Église (suivie par la foule). Pour les savants : c’était l’air. Pour la foule anonyme : des semeurs de contagions (on dirait aujourd’hui les « complotistes »). Pour l’Église : Dieu irrité par les péchés des hommes a décidé de se venger… Mais si on remplace le mot Église par Planète… ça peut fonctionner !

 

Si comparaison n’est pas raison, il faut bien reconnaître qu’ici le regard de l’historien nous éclaire sur nos comportements et devrait nous conduire dans la gestion au quotidien de cette crise majeure. Et peut-être que l’on va tous mûrir !

 

Par Caton
 
(Source : BibliObs, mars 2020)